Découvrez dans cet article les résultats de notre expérience sur la consommation d’encre d’un panel de polices de caractères.
Voilà plusieurs mois que je m’interroge sur la typographie en éco-conception. Ce sont en réalité les symboles que j’utilise le plus au quotidien : un assemblage de formes, qui disent des lettres, qui disent des mots, qui disent un message, verbal… celui-là. On ne prend que rarement le temps de les voir comme tels, mais il s’agit bien de 42 (et plus) pictogrammes, ré-associés en permanence et qui sont des supports d’encre primordiaux.
On l’a vu précédemment, le choix de police ne suffit pas à lui seul à réduire la surface d’encre imprimée d’un document de manière significative : il faut aussi penser aux aplats, aux illustrations, aux photographies. La typographie est cependant un facteur important, surtout quand on s’affaire à de gros volumes de texte imprimés (bureautique, rapports, journaux).
Depuis la naissance de l’imprimerie, des typographes se sont penchées sur la création de polices de caractères économiques en encre (en intégrant des incises dans les caractères par exemple). Détail qui fait mouche et permet une économie d’encre conséquente sur gros tirages.
Aujourd’hui, ces préoccupations d’économie d’encre ressurgissent, dans un soucis tout autant économique qu’écologique. Un étudiant américain s’est penché sur les économies que pourraient réaliser les agences fédérales américaines en changeant la police de caractère utilisée pour les documents imprimés : une économie de plusieurs millions par an en achat d’encre est possible.
Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’éco-conception graphique, voici les premières indications que l’on m’a donné :
1. Intégrer au maximum des polices dans leur version light
2. S’orienter vers une police sans sérif
3. Choisir une police compacte qui réduit l’encombrement
Armée du logiciel PressPerCent et d’un tableau Excel, j’entame des mesures de taux d’encrage d’un échantillon de polices de caractères pour mettre à l’épreuve ces hypothèses.
Cette première recommandation me semble justifiée en termes d’éco-conception : plus une police est fine, moins elle consomme d’encre. C’est ce que l’on peut voir sur le premier comparatif (image 1). J’ai comparé le taux d’encrage des différentes graisses de l’Helvetica Neue. La version Bold consomme 3 fois plus d’encre que la version Thin.
En revanche, sur un texte de labeur (= le corps de texte principal, souvent assez petit), la lisibilité d’une police Thin n’est pas optimale et peut fatiguer l’oeil sur un lecture longue. La graisse Regular est alors préférable et c’est ce pourquoi j’ai basé le comparatif général sur une base Regular ou Book.
La deuxième indication en revanche, me posait question. Les sérifs… ces empattements qui ornent les lettres et que l’on considère aujourd’hui souvent comme superflus et hérités d’une époque ancienne. Or, les sérifs peuvent aider à déchiffrer plus rapidement les mots en leur apportant plus de singularité (c’est étudié dans Le détail en typographie par Jost Hochuli).
La plupart des polices avec sérif, sont construites avec des pleins et des déliés : en somme, des parties fines et des parties plus épaisses au sein d’une même lettre. Une police sans sérif est-elle forcément plus éco-conçue qu’une police avec sérif ? L’expérience menée pour cet article m’apprend que non : dans l’échantillon de polices étudiées, ce sont bel et bien deux polices à sérif, Garamond et Bodoni, qui consomment le moins d’encre, à corps égal (image 2).
Une police compacte n’utilise pas forcément plus d’encre qu’une police large. En revanche, la police large occupera plus de lignes, plus de pages et donc plus de papier. Afin de nous concentrer dans cet article exclusivement sur le taux d’encrage d’un caractère typographique, laissons de côté la question de l’encombrement pour le moment, dont l’impact se fera plus sur la quantité de papier que sur la quantité d’encre utilisée pour l’édition d’un document. Article en perspective !
Etape 1 : J’ai sélectionné un échantillon de 33 polices couramment utilisées et diverses : avec sérifs, sans sérifs, iconiques, dans l’air du temps, bureautiques...
Etape 2 : Sur une page A4, j’ai intégré un extrait du Ventre de Paris d’Emile Zola, en corps 11 pt, pour chacune des 33 polices de caractères. J’ai mesuré le taux d’encrage de chaque page et calculé la consommation d’encre hypothétique pour l’impression de 200 exemplaires en se basant sur la contenance d’une cartouche d’encre noire standard HP de 5ml.
Etape 3 : J’ai ensuite classé ces polices, de la moins consommatrice à la plus consommatrice d’encre (image 2).
A graisse égale (Regular), j’étais assez surprise de découvrir que certaines polices fines par essence (Century Gothic, Montserrat) sont plus consommatrices d’encre que des polices plus épaisses (Calibri, Gill sans). En réalité, à corps égal, la Century Gothic a une taille de base beaucoup plus importante que la Calibri.
Pour mieux comprendre, regardons l’image 3. A gauche en bleu, on observe qu’à corps égal (11 pt), Century Gothic est plus haute que Calibri. A droite de l’image en rouge, on voit que pour obtenir une taille de police optiquement identique à la Calibri corps 11 pt, il faudrait utiliser la Century Gothic en corps 9,4 pt.
Quand on définit sa police par défaut dans Word, il est rare qu’on ajuste le corps de texte à 9,8 pt ou 10,4 pt. On choisit généralement un corps standard, 10, 11 ou 12 pt. Le comparatif à corps égal, nous permet alors de choisir une police plus ou moins économe en encre pour un usage standard bureautique.En revanche, lorsque l’on crée un document avec une mise en page professionnelle sous Indesign par exemple, la définition la plus juste du corps du texte principal est primordiale : il est alors plus intéressant de connaître la comparaison de la consommation d’encre des polices à taille optique égale, que l’on calcule avec la différence de hauteur de x.*
*Lors de la conception d’une police, le typographe fait le choix d’une hauteur de caractères par défaut (basé sur la lettre “x”). Plus une hauteur de x est importante, plus la police semblera “grosse”. Inversement, plus une hauteur de x est faible, plus la police semblera petite.
Etape 4 : J’ai donc voulu comparer à nouveau les 33 polices, en les intégrant toutes à la même taille optique. Les mesures diffèrent alors significativement pour certaines (image 5). On se rend compte cette fois qu’à hauteur de x égale, la Century Gothicconsomme moins d’encre que la Calibri(image 4).
Sur le choix de la graisse : Le choix d’une graisse fine versus une graisse épaisse peut réduire jusqu’à 3 fois la consommation d’encre.
Sur les empattements ou “sérifs" : Une police sans sérif n’est pas forcément plus économique en encre qu’une police à empattement.
Sur la comparaison des polices dites “éco-conçues” et les autres : En matière de conception typographique, je vous invite à consulter les articles sur les polices Ryman et Ecofont dont le dessin est pensé pour utiliser moins d’encre. Toutefois, à corps de texte égal, Ecofont consomme plus d’encre que Garamond, Times ou encore Calibri. En revanche, à taille optique égale, Ryman et Ecofont sont les plus économiques du classement, aux côtés des polices DIN, Montserrat, Century Gothic (qui ne se revendiquent pas éco-conçues).
Sur la possibilité d’utiliser toujours votre police préférée de manière économique : Alternative intéressante au choix d’une éco-font : le poinçonnage de vos polices. Le logiciel Typeco crée de tous petits trous blancs dans la police de votre choix permettant d’économiser en moyenne 27% d’encre. Malheureusement, le logiciel édité par une start-up dijonnaise ne semble plus disponible à ce jour… Affaire à suivre !
Bilan : Rappelons que les écarts de taux d’encrage de toutes les polices étudiées diffèrent de quelques pourcents. Sur un faible volume d’impressions, l’impact du choix de la police sur la consommation d’encre sera infime. En revanche, sur un volume important de tirages ou pour un choix de police durable pour vos modèles de bureautique par exemple, un choix de police économe en encre peut avoir un impact significatif !